Aujourd'hui comme d'habitude je suis allé passer une heure au port. C'est un rite que j'ai gardé depuis des années : cela date de l'époque où je passais toute ma journée au port à amarrer les bateaux à passager qui s'y arrêtaient. Depuis, la vie a changé et j'ai d'autres centres d'intérêt, mais comme je connais encore un certain nombre d'équipages de ces bateaux, je passe encore tous les jours faire un bonjour. Et puis, j'ai vécu certains parmis les plus beaux moments de ma vie à cet endroit alors j'aime vraiment y revenir. Aujourd'hui, je ne connais plus grand monde parmi ces équipages, mais je passe quasiment toujours dire bonjour aux équipages du Mor-Bihan (il y a deux équipes en alternance) ; et aujourd'hui j'ai fait un effort pour être là au passage du Rhuys, dont le patron (le capitaine) est une patronne : elle s'appelle Viviane et elle aussi est très sympa. C'est la seule patronne de bateau de la région ! Il y a un autre de mes amis, qui a été patron de la plupart des gros bateaux du Golfe, mais en ce moment le bateau qu'il commande ne s'arrête pas dans notre port et donc je suis passé chez lui la semaine dernière le voir ainsi que son amie.

Dans le Golfe du Morbihan, il y a de très nombreuses compagnies de navigation qui se partagent la desserte des différents ports. Deux d'entre elles ont la plus grande part de marché : Navix et la Compagnie des îles (qui ne sont en fait qu'une seule et même compagnie). C'est surtout les équipages de la Navix que je connais (les plus anciens), et dans une moindre mesure ceux de la Compagnie des îles. Le premier bateau que j'ai amarré en 85 était un de ceux de la Compagnie des vedettes vertes, devenue maintenant Navix. Les patrons de bateau de l'époque étaient des personnages... connus dans tous les ports, aussi bien du continent que sur les îles. Les équipages ne bougeaient pas trop (embauchés à l'année, alors que maintenant ce sont principalement des saisonniers), et les bateaux principalement en bois. Dans la fin des années 80, il y avait pas mal d'ados qui, comme moi, faisaient le lamanage dans les différents ports : pour s'occuper, pour rencontrer du monde, ou parce qu'ils avaient de la famille parmis les marins. Pour ma part, j'ai fait ça pendant presque dix ans. La plupart du temps, prendre l'amarre de bateaux à passager de cette taille (25 mètres ou moins) ne comporte pas de difficulté : on vous jette l'amarre (la "garde") à hauteur de taille ou des genoux ; l'extrémité de cette amarre est formée d'un oeil que vous passez ("capellez") soit autour d'une bite d'amarrage, soit autour de l'ancrage d'un anneau (on dit "organneau" mais je ne sais pas comment ça s'écrit). Le bateau reste en marche avant, et ainsi l'amarre est tendue et le bateau plaqué au quai.
Par contre, quand il y a du vent (surtout si le bateau a une grande prise au vent et un moteur de puissance moyenne) ou beaucoup de courant, ça peut devenir beaucoup plus difficile... idem à grande basse mer ou grande pleine mer, où les courants sont tres forts et les bateaux ont des problèmes de tirant d'eau pour venir jusqu'au port ou bien sont trop hauts (à pleine mer) pour débarquer les passagers.
Pendant toutes ces années j'ai vu des gardes cassées, des manoeuvres recommencés plusieurs fois, j'ai failli y laisser ma main (quand l'amarre se tend brusquement alors qu'on est en train de la capeler, ça peut faire mal) et pas mal de choses encore. Mais que de souvenirs... Pendant que ma famille navigait à voile, moi j'apprenais la mer d'une autre façon depuis "mon" quai.
Aujourd'hui les choses ont changée : ceux que j'ai connus matelots sont devenus patrons de bateau, il ne reste plus beaucoup de bateau en bois ou acier : le plastique et surtout l'aluminium les ont remplacés. Mais ce sont toujours de vrais marins et je leur tire mon chapeau, d'autant que les conditions météo dans et hors du Golfe sont souvent franchement pourries. Il y a parfois des accidents de bateaux à passagers, mais je peux dire pour être très souvent monté à leur bord que la première préoccupation des patrons de bateaux à passagers et de leur équipage, c'est la sécurité : celle de leurs passagers et plus globalement celle du bateau.

Pendant toutes ces années il m'est aussi arrivé de donner le coup de main, à bord des bateaux d'une compagnie qui n'existe plus aujourd'hui. Le patron, Jean-Claude (décédé il y a quelques années), était un véritable ami et m'a appris pas mal de choses, notamment en me faisant confiance et en corrigeant ce que je faisais mal. J'étais déjà étudiant et avec une vie parisienne de futur ingé totalement différente de leurs vies de marins et pourtant il m'a toujours traité comme un égal... P'tite pensée émue pour lui et pour tout ceux que j'ai croisé dans ce port et que je croiserai encore j'espère :)